Mon père, Patrice Caramalli a été un entrepreneur dans le second-œuvre, et très vite il s’est imposé comme « architecte d’intérieur », alors que ce métier n’avait pas de nom.
Je propose à mon père de faire un tour d’horizon sur nos métiers.
Jérôme :
« Comment es-tu arrivé dans le métier de l’entreprise du bâtiment, alors que ta formation ne te destinait pas vraiment à ce métier ? »
Patrice :
« L’été, durant mes vacances scolaires, j’aidais mon père Giacomo et après des études de philosophie, sans trop de conviction, et avec un bon coup de crayon, j’ai décidé de créer «Environnement 06» à St Laurent-du-Var.
« La philosophie mène à tout… à condition d’en sortir » était ma boutade favorite en réponse à ceux qui s’étonnaient de mon parcours.
"Comme Giacomo avait déjà une réputation dans ce métier, au tout début, nous nous sommes fait connaître pour notre savoir-faire dans le domaine du coin feu."
Puis, mettant à profit une sensibilité « artistique » qui fait partie de l’ADN de notre famille j’ai décidé d’ouvrir le champ de mes activités aux autres parties de la maison.
Il est indéniable que toi aussi as hérité de ce bout d’ADN !!! «
Jérôme :
« Ce métier de la rénovation a changé et à tes yeux comment a t’il évolué ? »
Patrice :
"Traditionnellement, l’architecte concevait le bâtiment et le décorateur ensuite s’occupait d’embellir et de meubler les lieux légués par le premier.
C'est donc dans les années 1980 que s'est imposé l'architecte d'intérieur".
Jérôme :
«Tu veux dire qu’intuitivement tu as lancé le métier d’architecte d’intérieur ? »
Patrice :
"Oui, car j'ai compris que la distribution des volumes était essentielle et que de là découlait des espaces importants comme la cuisine, le coin feu, la salle-de-bain. Et aujourd'hui on attend d'avoir une master bedroom, un dressing, un bureau chez-soi..."
Patrice : « Toi, Jérôme que constates-tu dans tes visites-conseils ? »
Jérôme :
" Appelé souvent pour des rénovations, je note souvent que les maisons et les appartements
que je visite (n’oublions pas les appartements) ont été construits avec une vision d’autrefois et quand, progressivement, ces lieux ont « bénéficié » de travaux d’aménagement, l’habitat qui en résulte donne un sentiment « d’étriqué »
Les « choses » ne sont pas abouties …dans le meilleur des cas !
Souvent ces maisons ont été construites par un architecte qui, s’il a réalisé la villa selon les souhaits exprimés par les clients de l’époque, a vu très souvent sa mission se limiter au dépôt de permis de construire.
Je constate que de nombreux architectes ne vont pas nécessairement bien loin dans leur mission, à leur décharge c’est aussi, voire souvent pour des raisons économiques.
Le regard d’un architecte d’intérieur, métier qui n’existait pas ou peu, est devenu incontournable à la réussite d’une construction".
Patrice :
"Comment vois-tu évoluer le métier ?"
Jérôme :
"De ton temps ce métier était réservé soit à une élite économique soit à des professionnels de la restauration, de l’hôtellerie et autres lieux destinés à recevoir du public.
Les émissions de télévision ont démocratisé la réflexion sur l’aménagement de l’intérieur des particuliers.
On trouve même de nos jours, sur le marché, des logiciels grand public qui permettent de réaliser des plans en donnant à croire que l’économie de l’intervention d’un professionnel est possible .
Troisième facteur, l’extraordinaire raréfaction des terrains a fait que les constructions nouvelles sont éloignées des zones privilégiées qui sont déjà occupées par des constructions plus anciennes.
Les premières pour des questions d’économie sont souvent standardisées et la personnalisation devient une exigence.
Les secondes, par leur emplacement, se trouvent valorisées malgré leur inadaptation aux besoins de la vie contemporaine.
Repenser l’architecture intérieure pour les mettre en conformité s’avère indispensable et ce d’autant plus que c’est économiquement très rentable, la valeur ajoutée par des travaux qui font sens, est reconnue par le marché.
Un exemple révélateur : la cuisine, souvent grande était éloignée des lieux de vie de la maison ou de l’appartement.
En ce temps là, les propriétaires disposaient de gens de maison.
Déjà hier les femmes ont refusé d’être isolées dans leur « laboratoire »
Aujourd’hui nombre d’hommes (dont moi-même) préparent régulièrement les repas.
J’ajoute en marge de ce que je viens de décrire : "quand je discute d’aménagement cuisine, je sais de quoi je parle!!! ".
Parallèlement les métiers du bâtiment se sont spécialisés.
Mon grand-père assurait la construction d’une villa des fondations au toit.
Aujourd’hui le maçon ne s’occupe plus que de ce qui est en ciment, les autres viennent après, même les plâtriers ont vu leurs compétences distribuées entre plusieurs sous-métiers.
Or ce que demandent les clients, qui sont extrêmement documentés, ce sont des réalisations qui font appel à plusieurs compétences.
Regarde cette photo :
Au sol du parquet : parqueterie
En partie basse il y a des meubles : menuiserie/ébénisterie
Au dessus un grand plan en pierre bleue de Savoie : marbrerie
A u dessus encore une grande niche bibliothèque : plâtrerie et menuiserie encore
A droite une cheminée qui est encore une autre spécialité
Pour réunir le tout et donner à l’ensemble l’unité nécessaire un grand coffrage avec faux plafond en BA 13 relie les diverses composantes de cette réalisation. (travail de plaquiste)
L’ensemble a été pensé pour s’intégrer à des baies vitrées fixes repensées : c’est à la fois de l’architecture et de la maçonnerie de gros-oeuvre".
"Aujourd’hui je raisonne avec une logique d’aménagement global.
Intégration des matériaux et des métiers dans un seul et même ouvrage."
Patrice :
" Il est indéniable que la maîtrise informatique CAO et PAO a permis des avancées notables."
Jérôme :
"Ce sont des outils devenus incontournables."
Patrice :
"Effectivement, moi, je travaillais sur une planche à dessin, toi tu ne quittes plus ton ordinateur. Les nouveaux outils de prise de côtes par laser couplés à la photographie apportent gain de temps et de précision, ils permettent en outre d’essayer et de proposer plusieurs solutions virtuelles d’aménagement.
Il n’est que de regarder les émissions télé consacrées à la maison.
Il était inconcevable de présenter ces simulations quand un projet demandait crayon et encre de chine.
La simple gomme était insuffisante pour apporter des modifications quelque peu significatives."
Jérôme :
"Le risque c’est que demain, l’intelligence artificielle proposera des aménagements variés mais standard."
Patrice : « Comment tu vois ton futur ?
Jérôme :
"Je ne suis pas inquiet.
Ma force : je domine les 2 extrémités du projet, c’est à dire de la création à la réalisation finale en incluant la maîtrise des coûts.
La connaissance du métier que tu m’as imposée par l’indispensable expérience du terrain : « dans tout métier il faut d’abord savoir balayer » disais-tu, est pour moi un atout considérable.
Pour être respecté des artisans il faut connaître leur monde et avoir fait ses preuves.
Il n’y a pas de solution alternative pour obtenir qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes."
Le mot de la fin :
L'intelligence artificielle n'automatisera jamais l'intuition ni la sensibilité de l'architecte. Ma conviction est que l'homme se servira toujours des machines comme d'outils, et non l'inverse, il faudra toujours un pilote dans l'avion !
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